L'emploi reportatif du conditionnel français (Il y aurait des victimes) a été intensément étudié les 15 dernières années (Van de Weerd 2016). Le thème dominant de ces études a été la structure sémantique interne de cet emploi, avec ses différentes composantes sémantiques, leur importance relative dans son sémantisme, leur statut sémiotique (sémantique ou pragma­tique ?) et la question de savoir si cela nous apprend si le conditionnel est un marqueur évidentiel ou non.

Les débats autour de ces problèmes ont été centrés autour des positions antagonistes de Dendale (1993) versus Abouda (1997) et Celle (2007) – le premier voyant dans le conditionnel reportatif un marqueur évidentiel de reprise, les derniers un marqueur énonciatif de non-prise en charge – et la « synthèse-compromis » de Kronning (2002, 2015, 2012), qui y voyait un marqueur « mixte », signifiant l'emprunt ET le refus de prise en charge.

Dans notre communication, nous proposons une analyse nouvelle du conditionnel reportatif, qui part d'un examen critique de Kronning, et qui offre une réanalyse des exemples traités précédemment et une analyse d'exemples nouveaux cherchés dans frTenTen, de nouvelles solutions à des problèmes théoriques et empiriques posés par plusieurs auteurs. Les hypothèses qui seront avancées sont: (A) la composante sémantique principale, stable et invariable, du conditionnel reportatif est la reprise ; (B) les composantes modale et énonciative qui lui sont souvent associées sont secondes et dérivées ; (C) la valeur de la composante énonciative varie, selon le contexte, entre non-prise en charge "faible" et non-prise en charge "forte" ; (D) elle peut être annulée par des éléments du cotexte ; (E) la valeur modale d'incertitude a un double lieu d'inscription ; (F) le conditionnel reportatif mérite pleinement le statut de marqueur évidentiel.