L'emploi de l'imparfait contrefactuel « expressif » (ICE) en français a surtout été étudié dans une construction particulière (Un instant de plus, /et/ je te tuais [≈ aurais tué] (Berthonneau & Kleiber 2006, Bres 2006). En revanche, les six constructions conditionnelles en si où l'ICE est employé (dont Si j'avais été là, il me tuait) sont peu ou pas du tout étudiées.
Nous proposerons une nouvelle analyse de l'ICE dans le cadre de la Théorie Modale de la Polyphonie (Kronning 2009ab, 2013ab, 2014ab) dans ces constructions.
Selon cette théorie, la relation prédictive instaurée entre les procès (p et q) est attribuée au locuteur de l'énoncé l0, alors que les attitudes épistémiques (dont le « contrefactuel ») vis-à-vis de p et de q sont inscrites sous forme d'opérateurs modaux dans des points de vue assignés à d'autres êtres de discours que l0.
Les temps verbaux des constructions conditionnelles « toncales » (morphèmes flexionnels en -/r/ait) portent, selon notre hypothèse (cf. Gosselin 1999, Caudal 2011, Ippolito 2013), sur les opérateurs modaux et gardent leurs significations aspectuo-temporelles « standard ».
L'expressivité de l'IC a pour origine, selon notre hypothèse, son emploi dans un contexte d'où il ressort que la possibilité de q (et/ou de p) a été annulée avant un point de référence TR (« contrefactualité fermée »), emploi qui est en discordance avec la signification de l'imparfait comme temps du passé imperfectif, selon laquelle l'IC dénote une inhibition temporaire de p dans l'univers actuel (« contrefactualité non fermée »).
Cette discordance entre ce qui est exprimé linguistiquement par l'ICE – la contrefactualité non fermée – et ce qui est inféré contextuellement – la contrefactualité fermée – exige un effort de traitement cognitif supplémentaire qui a pour effet la mise en relief (valeur expressive de l'IC) de q et/ou de p.